Catégorie : Librairie,
Alternatives Economiques: Les librairies indépendantes résistent
Alternatives Economiques n°392 – 07/2019
https://www.alternatives-economiques.fr//librairies-independantes-resistent/00089913
Dans le cœur des lecteurs mais pas toujours dans leur porte-monnaie, les librairies indépendantes ont plusieurs cordes à leur arc face aux grandes surfaces et à Amazon.
A l’aube, chaque matin, Pascale Girard allume le moteur de son poids lourd coloré et se lance à l’assaut des routes de l’Ardèche, au volant du Mokiroule, sa librairie ambulante créée en 2015. Avec ses 3 000 références sur 18 m2 et 140 000 euros de chiffre d’affaires, elle joue dans la catégorie poids plume comparée à des librairies parisiennes comme Le comptoir des mots (22 000 références, 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires) ou des mastodontes régionaux comme Sauramps à Montpellier (10,7 millions d’euros de chiffre d’affaires) ou Mollat à Bordeaux (24 millions de chiffre d’affaires). Dans le monde de la librairie indépendante, il y a pourtant de la place pour elle ou la toute récente librairie coopérative La cavale à Montpellier. Leur point commun : défendre des convictions sur un marché bousculé par l’arrivée d’Amazon en 2000 et où, malgré le soutien des pouvoirs publics, l’équilibre économique reste fragile.
« La part de marché des librairies s’est effritée, mais pas autant qu’on aurait pu le prédire », le sociologue Vincent Chabault
En 2018, 22 % des livres neufs ont été vendus en librairie, contre 34 % en 1994. « La part de marché des librairies s’est effritée, mais pas autant qu’on aurait pu le prédire. Les librairies indépendantes ne vont pas si mal », analyse le sociologue Vincent Chabault. Les autres canaux sont les grandes surfaces spécialisées comme la Fnac (26 %), les hypermarchés (19 %) et, bien sûr, la vente en ligne (21 %), qui grignote 1 % ou 2 % par an.
Petites marges
Le principal allié des librairies indépendantes, c’est le prix unique du livre. Quel que soit le point de vente, un livre est vendu au même prix, celui fixé par l’éditeur, avec une possibilité de ristourne de 5 % pour les ventes en magasin. Cette règle, qui date de 1981, est une réponse à l’arrivée des hyper et des Fnac dans les années 1970, qui rompent l’accord tacite sur le « prix conseillé ». « Il y a une corrélation évidente entre les pays qui ont un prix unique du livre et ceux qui ont gardé un réseau dense de librairies indépendantes, comme l’Allemagne ou la France », explique Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF).
Le prix unique s’impose aussi à Amazon, qui riposte du coup sur deux tableaux : des frais de livraison très bas, parfois à 0,01 €, et « un savant mélange pour faire en sorte que le prix unique se dilue », dénonce Guillaume Husson. « Un livre à 23 euros prix éditeur apparaîtra sur Amazon entre 4 et 37 euros 1 . Les clients ont l’impression que c’est moins cher en ligne », complète le délégué général du SFL.

Orséry, la start-up qui veut révolutionner la librairie
Reste que le prix unique du livre n’a pas été adopté pour soutenir les librairies indépendantes, mais les éditeurs. « Le problème des librairies indépendantes, c’est qu’elles font très peu de marge, explique Vincent Monadé, directeur du Centre national du livre (CNL). Dans le meilleur des cas, elles touchent 30 % à 40 % du prix du livre vendu. Leurs charges fixes ont tendance à augmenter, pas le prix du livre, qui leur est imposé. » Autrement dit, le prix unique du livre, qui les protège, est aussi une contrainte.
« Il faudrait un fonds d’acquisition et un soutien aux villes qui font de la préemption de baux commerciaux », Vincent Monadé du Centre national du livre
Les pouvoirs publics les soutiennent : outre la TVA réduite à 5,5 %, les subventions du Centre national du livre (3,6 millions d’euros en 2018) et des aides directes ou prêts à taux zéro, portés par les régions ou des structures spécialisées comme l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc) ou l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic), existent, pour l’installation, le déménagement ou la valorisation du fonds. Les intercommunalités peuvent aussi choisir de les exonérer de la contribution économique territoriale. Enfin, selon Xerfi, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) a été « une bouffée d’oxygène ». Grâce à cette baisse de cotisation sur les salaires, la marge nette des librairies de taille intermédiaire (dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et un million d’euros) a atteint, en 2017, 1,1 % du chiffre d’affaires, au lieu de 0,3 %.
Le véritable enjeu demeure néanmoins foncier. « Même si des communes mettent à disposition des murs, à l’instar de la mairie d’Aubervilliers, qui a permis la création des Mots passants, il faudrait un fonds d’acquisition et un soutien aux villes qui font de la préemption de baux commerciaux », estime Vincent Monadé, du CNL. D’autant que les librairies, comme les autres commerces de proximité, « ont besoin d’être dans un centre-ville qui va bien », poursuit-il.
La passion du métier
La librairie joue pourtant un rôle crucial pour découvrir les auteurs, « créer le son », là où les grandes surfaces ont un effet amplificateur. « Harry Potter a été découvert par les libraires, même en France », note Renny Aupetit, propriétaire du Comptoir des mots (Paris 20e). Le cœur du métier de libraire n’a pas changé. « Il y a deux types de librairies indépendantes, résume le sociologue Vincent Chabault. Celles qui proposent une exhaustivité éditoriale, comme Mollat à Bordeaux ou Ombres blanches à Toulouse, et celles qui assurent un travail de sélection compte tenu d’un espace limité, comme Terra nova à Toulouse. » Choisir, Pascale Girard sait ce que c’est. « Mes clients me le disent : “là, il n’y a peut-être que 200 albums, mais on sait que tu les as choisis un par un, on a envie de les découvrir”. » Elle affectionne la littérature jeunesse et défend des éditeurs comme A pas de loups, qui publie des histoires où le loup n’est pas méchant.
La librairie joue pourtant un rôle crucial pour découvrir les auteurs, « créer le son », là où les grandes surfaces ont un effet amplificateur
La libraire ambulante a aussi réussi à développer ses ventes aux bibliothèques et centres de documentation et d’information (CDI), autre moyen pour les collectivités de soutenir le secteur. Pascale Girard travaille avec cinq établissements et une dizaine de classes. « Les documentalistes laissent les élèves choisir une partie des acquisitions de l’année. J’en prends une dizaine dans le camion et ils doivent se mettre d’accord pour dépenser un petit budget. » Elle se souvient d’un élève de 5e qui avait dégoté une BD pour adulte sur la vie de l’exploratrice Alexandra David-Neel. « La documentaliste m’a dit : “Personne ne va le lire.” Elle m’a rappelée pour me demander le 2e tome ! Ça change le regard que les adultes portent sur les collégiens, et le regard qu’eux-mêmes portent sur le CDI. Ça prend plus de temps, mais c’est tellement génial de passer des journées comme ça ! »
Coopérer et mutualiser !
A Montpellier, Marguerite Cros, retraitée, membre de la librairie coopérative La cavale, créée à l’automne dernier, insiste : « Notre projet est de vendre suffisamment, mais aussi de faire de la librairie un lieu de rencontre et d’amener le livre là où il n’est pas. » La cavale a acheté un triporteur pour renforcer sa politique d’animation.
Il existe aujourd’hui près d’une centaine de sites pour avoir accès aux stocks des librairies indépendantes
Autre levier pour les libraires : coopérer. Il existe aujourd’hui près d’une centaine de sites pour avoir accès aux stocks des librairies indépendantes 2. Difficile de s’y retrouver. La plupart de ces portails ont une vocation d’information et de réservation, voire de livraison à domicile. Certains, à une échelle locale, d’autres nationale. Le site www.librairiesindependantes.com, créé par le SLF, agrège toutes leurs données.
Pourtant, « face à nos compétiteurs, la géolocalisation ne suffit pas », juge Renny Aupetit, propriétaire du Comptoir des mots, du Comptoir des lettres (Paris 5e) et cofondateur de Librest (www.librest.com), le réseau des librairies de l’Est parisien. Son portail va plus loin : il repose sur la mutualisation informatique des stocks et de la logistique des librairies membres et de certains distributeurs. Deux fois par jour, une navette circule entre l’entrepôt et les membres. « Au lieu des 22 000 références du Comptoir des mots, ce sont 350 000 références qui sont disponibles dans les vingt-quatre heures. » Mais il n’y a pas de livraison à domicile : « On veut que les clients continuent de venir. »
Librest est aussi à l’initiative de www.lalibrairie.com, qui fonctionne sur le même principe à l’échelle de la France, avec la livraison en plus. Une façon de donner au lecteur les moyens de soutenir ces commerces de proximité, en tenant compte du changement survenu dans son rapport au temps.
François Darnaudet: L’homme qui valait des milliards
Les libraires lancent un cri d’alarme contre Amazon et pour leur survie économique
Les Rencontres nationales de la librairie se tiennent la semaine prochaine à Marseille. L’occasion pour la profession de publier un manifeste qui dénonce les pratiques du plus grand site de commerce en ligne.
Tous les deux ans, les Rencontres nationales de la librairie sont organisées par le Syndicat de la Librairie française (SLF). La cinquième édition a lieu à Marseille, les 30 juin et 1er juillet. Elle réunit 700 librairies et 200 autres professionnels du livre, qui présenteront les problèmes qui touchent le métier, et leurs enjeux pour le futur. La manifestation sera l’occasion pour cette profession d’exprimer son inquiétude face au mastodonte Amazon.
Le SLF (Syndicat de la librairie) veut en profiter pour sensibiliser le grand public au prix unique du livre, qui reste peu connu depuis sa mise en pratique en 1981, et fêtera bientôt sa quarantième année. Seul Amazon y demeure hostile, fait remarquer le SLF, avec la stratégie agressive de prix toujours plus bas du grand site en ligne, pour éliminer les enseignes qui ne disposent pas de fonds aussi considérables.
«Saper les fondements»
«Alors que le prix unique a fait ses preuves sur le plan économique et culturel et que l’ensemble de la classe politique le soutient, nous avons un acteur très puissant qui s’est installé au cœur de notre marché et qui travaille petit à petit à en saper les fondements. Tous les modes de création ou de diffusion de livres poussés par Amazon échappent, de fait ou de droit, au prix unique du livre. Cela concerne aussi bien l’occasion, le livre audio, que les abonnements numériques et l’autoédition», déplore Xavier Moni, Président du SLF.
Amer, il dénonce la passivité des politiques: «Ce n’est pas un hasard et cela devrait nous faire réagir, professionnels comme politique et parlementaire. Cela fait plus d’un an que le Médiateur du livre a adressé au gouvernement et au Parlement une proposition de modification de la loi de 1981 pour obliger Amazon à mieux respecter le prix unique. Cette recommandation est restée sans suite à ce jour.»
D’après le magazine Livres Hebdo, les 3300 librairies en France représentent 40% des ventes de livres. Malgré cela, la librairie reste un des commerces les moins rentables, avec un résultat net moyen, autour de 1%, selon une étude de Xerfi.
» LIRE AUSSI – Une petite librairie d’Épinal fait plier Amazon
Une question de survie économique
Lors de ces Rencontres nationales de la librairie, le SLF lancera un Manifeste pour faire en sorte que les petits vendeurs de livres restent économiquement viables.
Le cahier de doléances rappelle que parmi les objectifs fixés du prix unique en 1981 figurait déjà en bonne place la nécessité de maintenir, sur l’ensemble du territoire, un réseau dense de détaillants face à l’essor de la grande distribution. Il envisageait aussi de permettre à ces derniers de disposer de marges suffisantes pour couvrir les charges liées à leur travail qualitatif. Près de quarante ans plus tard qu’en est-il de ces deux objectifs?
Face à ce problème de fond, le Syndicat de la Librairie française rappelle donc que «le prix unique du livre est un mode de régulation, qui appelle une pratique consciente de la solidarité interprofessionnelle afin de contrebalancer la relation de dépendance des autres professions du livre vis-à-vis de l’édition.»
Mais, parce que cet esprit de responsabilité et de solidarité s’est largement délité, deux autres problèmes majeurs sont apparus: le marché du livre ne dégage plus assez de valeur, et cette valeur est inégalement répartie. Les libraires veulent reconstituer leur marge commerciale, et, là encore Amazon est visé, obtenir un tarif de livraison plus avantageux pour les librairies.
Programme d’en ces lieux des livres 2019. Merci de faire circuler le plus possible
François Darnaudet: Le Möbius Paris Venise
Le dernier opus de François Darnaudet ! Et je vous rappelle qu’il sera avec nous pour Polars À L’Ancre Au Cap-Ferret 🕵🏻⚓️ le jeudi 18 Juillet à partir de 15h30.